Le 14 juin 1940, les Allemands entrèrent dans Paris. L'Espagne elle, sous la dictature militaire de Franco, se déclara non belligérante puis neutre à partir d'octobre1943.
Se plaçant en dehors du conflit international, elle devint un refuge pour des milliers de personnes cherchant à échapper à la terreur du nazisme.
Lisa Fittko, née d'une famille juive d'Ukraine, devenue militante antinazie et cherchant à fuir pour l'Espagne, se rendit à Banyuls-Sur-Mer avec son mari vers la mi-septembre 1940.
Sur place, aider par le maire de l'époque Mr Vincent Azéma et de quelques autres Banyulencs, elle contribua à créer, la filière "F" (pour Fittko). À Cerbère aussi, le maire Mr Julien Cruzel, transitaire en douanes, fut un précieux auxiliaire de la filière d’évasion en faisant passer les bagages des fugitifs par train jusqu’à Portbou.
Ce réseau de passage vers l'Espagne fonctionna avec succès jusqu'au printemps 1941, avant qu'il ne soit repéré par la gendarmerie. Il permit de sauver plusieurs centaines de fugitifs et militaires britanniques. En octobre 1941, les époux Fittko obtinrent des visas pour Cuba, et s’installèrent ensuite à Chicago.
Le 25 septembre 1940, c'est un certain Walter Benjamin qui se présente à Lisa et son mari Hans, afin qu'ils le conduisent en Espagne.
Ce philosophe, historien de l'art, critique littéraire, de confession juive, vient de traverser la France de part en part afin de fuir les nazis. Après Lourdes et Marseille, il arrive à Port-Vendres épuisé par sa fuite devant la Gestapo et la police de Vichy.
Muni de sa sacoche de cuir qui renferme un précieux manuscrit, "plus important que sa vie", Walter Benjamin s'engage alors de nuit sur la "route Líster", ancien sentier de contrebandiers, surnommé ainsi depuis 1939 et la retraite des Républicains espagnols.
Dans sa fuite, il ne sera pas seul. Il est accompagné de deux autres exilés, allemands eux aussi, Mme Henny Gurland et son fils Joseph âgé de 16 ans.
Walter Benjamin âgé de 48 ans, souffrant du cœur et d'une sciatique chronique et malgré la morphine qu'il prend afin de soulager ses douleurs, peine à marcher dans les pentes rocailleuses.
Hors de portée des gardes mobiles qui veillent un peu plus bas sur la frontière, empruntant un sentier par le Puig del Mas, le Coll del Bast, la Font del Banà, ils atteignent la frontière au Coll del Rumpissar avant de plonger vers Portbou.
Lisa Fittko fera alors demi-tour pour regagner Banyuls, laissant Walter Benjamin et ses compatriotes se diriger vers la liberté.
Cependant quelques jours plus tard, Lisa Fittko apprendra que le 26 septembre 1940, la nuit de son arrivée en Catalogne sud, Walter Benjamin s'est suicidé en absorbant une dose mortelle de morphine.
Apprenant qu'une nouvelle directive de reconduction des réfugiés en France venait d'être ordonnée par le gouvernement de Franco, épuisé, paniqué, il prit peur et céda au désespoir.
Il écrivit sa dernière lettre en français, confiée à Henny Gurland : « Dans une situation sans issue, je n’ai d’autre choix que d’en finir. C’est dans un petit village des Pyrénées où personne ne me connaît que ma vie va s’achever. Je vous prie de transmettre mes pensées à mon ami Adorno et de lui expliquer la situation dans laquelle je me suis vu placé. Il ne me reste pas assez de temps pour écrire toutes ces lettres que j’eusse voulu écrire… ».
Malgré un rapport détaillé de la police attestant de sa mort et de la présence d’un manuscrit, celui-ci ne sera cependant jamais retrouvé.
Son enterrement eut lieu le 28 septembre 1940 après des obsèques religieuses à l’église Santa Maria de Portbou, les autorités ayant considéré, sur la foi de documents découverts sur lui, que le « Dr Benjamin Walter » était catholique. Henny Gurland et son fils dans un dernier hommage financèrent à la hauteur de leurs moyens une concession de cinq ans au cimetière marin de Portbou achetée 75 pesetas. Le temps passa, et une fois la concession épuisée, les restes de Benjamin Walter furent, placés quelque part dans une fosse commune. Un monument funéraire symbolique lui fut cependant dédié au cimetière de Portbou.
De part et d'autre de cette frontière que Benjamin Walter peina tant à franchir, différents hommages sont rendus à son histoire.
Depuis 2001 un monument honore à Banyuls-sur-Mer la mémoire de Hans et Lisa Fittko au Puig del Mas.
En juin 2007 fut inauguré, un « Chemin Walter Benjamin » muni de panneaux d’informations, qui emprunte le tracé de la route suivie par le philosophe-poète pour fuir le nazisme sur une quinzaine de kilomètres du Puig del mas devant le monument Fitko jusqu’au cimetière marin de Portbou, en passant par le col de Rumpissa.
À Portbou, c'est un mémorial baptisé "Passatges" par son auteur l'artiste Dani Karavan qui fut inauguré en1994. C'est un long tunnel de métal représentant une plongée vertigineuse vers la mer en contrebas.
Au bout de ce tunnel, une baie vitrée met fin au voyage, représentant symboliquement l'espoir brisé de Walter Benjamin.